Faut-il croire en son expert ? Comment décoder ses positions.

J’ai hésité quelques temps avant d’écrire ce post, qui m’est inspiré par la situation globale, car on s’éloigne en grande partie du domaine de la forêt et du bois. A la réflexion, il me semble toutefois qu’il peut s’appliquer à une grande variété de situations.

Constat et problématique

Depuis maintenant un an et demi, une partie de la société discute voire se dispute activement sur le port du masque, les gestes « barrière », l’utilité des confinements plus ou moins stricts, les atouts/risques des injections (j’évite certains termes à dessein), et plus récemment atouts/contraintes du fameux « pass ».

Si un certain nombre de personnes ont des avis fondés directement sur les travaux scientifiques internationaux, un plus grand nombre encore se base sur les avis ou les positions de tiers. Dans une situation complexe, c’est un raccourci pratique mais qui pose la question des biais d’information.

Ces biais et les positions parfois radicales déplacent le débat sur un terrain d’avis voire de dogmes, au lieu de constats factuels que l’on pourrait débattre plus avantageusement.

Et ainsi, chacun de choisir « ses » experts avec ses propres critères que l’on peut comprendre, mais qui s’éloignent souvent du débat scientifique. Beaucoup d’entre nous avons vu des proches se fier à une personne médiatique simplement car « elle présente bien » ou car « elle est de tel parti politique », ou encore « elle parle bien ».

Lorsqu’on ne dispose pas soi-même des compétences requises, il est important d’utiliser les compétences d’un expert (que ce soit sous forme contractuelle ou en écoutant ses avis), dès lors que l’on doit agir ou prendre position dans un débat. Et on se retrouve aussi, dans des domaines techniques comme la forêt et le bois ou bien d’autres, à se demander QUI choisir et à quel point on lui accorde confiance. C’est le célèbre cas de figure du garagiste : lequel choisir, à quel point lui faire confiance techniquement et pour la facture.

Un des principaux biais des experts : l’effet Dunning-Kruger

C’est sans doute un constat peu agréable sur soi-même ou sur d’autres, ce qui explique que ce biais cognitif puisse être controversé. En 1999, les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger ont publié une étude qui met en évidence un biais de surconfiance.

Le principe est assez simple : à un certain stade de compétence, on peut croire avec force que l’on maîtrise le sujet. Si l’acquisition de compétences se poursuit, on se rend compte que l’on ne savait pas tant que ça et l’on peut perdre une partie de sa confiance. Cette dernière se reconstruit ensuite peu à peu à mesure que le degré de maîtrise augmente, sans atteindre le niveau de surconfiance précédent. Le savoir et l’expérience peuvent en effet conduire à une certaine humilité.

Cet effet est schématisé de la façon suivante :

Nous verrons plus loin comment s’affranchir au mieux de cet effet dans le choix de l’expert, mais on peut souligner immédiatement deux pièges majeurs :

  • le risque que le très haut degré de confiance bloque l’évolution de la compétence : pourquoi se questionner quand on est certain de savoir ?
  • le risque de déni : être certain de savoir, ce peut être aussi dénier ce qui ne correspond pas à notre vision.

Bien entendu, ces deux pièges sont éminemment personnels : on peut y tomber ou non, selon le vécu personnel, l’égo, la situation professionnelle ou privée etc. On ne peut pas nécessairement le contrôler pour soi-même, le jugement est inutile, mais être averti de ce phénomène permet parfois de mieux comprendre son interlocuteur.

La combinaison de l’effet Dunning-Kruger et du nombre : un résultat désastreux

Dans un phénomène social complexe tel qu’on l’observe depuis mars 2020, le nombre rentre en jeu. Les experts (qu’ils soient scientifiques ou non) sont nombreux, ils ne sont pas d’accord entre eux, des voix dominantes s’élèvent à un instant donné.

On sait que les meilleurs experts sont les moins nombreux, et l’on peut représenter cela sous forme d’une courbe décroissante « nombre d’experts selon leur degré de compétence ». Combinons cela avec l’effet Dunning-Kruger :

Autrement dit : les plus nombreux à s’exprimer et avec le plus de certitudes, ne sont pas nécessairement les meilleurs.
Et parmi les meilleurs, seuls ceux qui sont dotés d’une très forte personnalité, d’une expérience reconnue, et de courage, pourront s’exprimer mais se trouveront en situation mécaniquement minoritaire.
Comme dit Bernard Werber : « ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort, qu’ils ont nécessairement raison ».

Alors qui croire, entre les nombreux qui font penser à un consensus, et les rares isolés ?
La question n’est pas si simple, d’autant qu’il peut être plus rassurant de se raccrocher à une personne qui affiche des certitudes affirmées.

Comment choisir son « expert »

Je propose ici un certain nombre de critères, de pistes de réflexions, en une liste non exhaustive mais qui me semble aller à l’essentiel. A chacun d’y piocher et de les utiliser à sa guise.

En réalité, ceux-ci s’appliquent bien plus largement qu’aux experts au sens professionnel du terme : je pense en particulier aux personnes qui peuvent avoir des impacts forts (par ex. classe politique, décideurs) et aux discours desquels il convient donc d’être particulièrement vigilant.

Ces critères permettent, me semble-t-il, d’évaluer le degré de fiabilité d’une personne ou d’un organisme. Il ne s’agit aucunement de jeter la pierre, seulement de savoir évaluer ce qui est dit et le cas échéant de prendre une distance.

Pour terminer

Admettons que l’on ait identifié un ou des « experts » à qui l’on peut accorder un crédit confiance, faut-il lui accorder totalement confiance ?

Je pense au contraire qu’il est préférable de ne pas accorder totale confiance – ce qui ne veut pas dire s’en défier : le terme de confiance vigilante serait plus adapté. En effet, un expert est aussi un être humain avec toutes ses qualités humaines, ses faiblesses et ses peurs, ses biais cognitifs. Même une personne extrêmement compétente peut déraper pour des raisons totalement personnelles et humaines, dans certaines situations.

Il revient donc à celui qui l’écoute attentivement de conserver son propre pouvoir d’analyse et de décision plutôt que de s’en remettre entièrement à un tiers. Et ainsi assumer sa responsabilité d’être humain, avec ses atouts et ses limites. C’est peut-être ce qui nous manque le plus collectivement ces derniers temps.

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